3 days ago
Ce que le déclin des oranges de Floride nous apprend sur l'avenir
Des travailleurs agricoles œuvrent à l'empaquetage d'oranges dans une installation de Vero Beach, en Floride. La « maladie du dragon jaune » affecte durement le secteur des agrumes floridien.
Ce que le déclin des oranges de Floride nous apprend sur l'avenir
Le jus d'orange était naguère synonyme de santé et un symbole de la puissance agricole des États-Unis. Dans les années 1950, des publicités de la Florida Citrus Commission encourageaient les Américains à boire « un grand verre » de jus d'orange chaque jour pour prévenir les rhumes et absorber de la vitamine C.
Shannon Osaka
The Washington Post
De plus, le jus d'orange pouvait prévenir l'acidose, une affection préoccupante. À son apogée, trois quarts des foyers américains en avaient au frigo.
Obésité et diabète
Mais depuis 20 ans, sa popularité a chuté. Selon les médecins, le jus d'orange contient autant de sucre que les boissons gazeuses et les jus en général contribuent à l'obésité et au diabète. Parallèlement, le changement climatique et une maladie bactérienne ont décimé les orangeraies en Floride et dans le monde entier.
PHOTO MARK HUME, ARCHIVES BLOOMBERG NEWS
Des oranges décolorées et malingres pendent tristement d'un oranger affecté par une maladie dans une orangeraie de Floride.
Bref, le jus d'orange est peu à peu passé d'un symbole de santé à un symbole des défis actuels : inflation, maladie et réchauffement planétaire.
« Les ouragans nous touchent plus que n'importe où ailleurs et la consommation de jus est en baisse », résume Tripti Vashisth, professeure de sciences horticoles à l'université de Floride. « Les temps changent. »
La semaine dernière, l'administration Trump a modifié la définition réglementaire du jus d'orange de la Food and Drug Administration (FDA), qui passe de 10,5 % de solides dissous (surtout du sucre) à 10 %. Ce petit changement fait suite à deux décennies de lutte pour les producteurs d'agrumes de Floride, où une maladie bactérienne a dévasté les vergers. La « maladie du dragon jaune », propagée par un insecte envahissant appelé psylle asiatique, a été observée pour la première fois en Floride en 2005. Un arbre infecté a des taches sur ses feuilles et ses fruits sont verts, difformes et amers. Soumis à un stress prolongé, l'arbre peut mourir.
Chute de 92 %
La maladie ravage les orangeraies de Floride. La production de l'État a chuté de 92 % en 20 ans ; selon le Florida Department of Citrus, les deux tiers de la superficie consacrée à la culture des oranges ont disparu. Résultat, l'État, autrefois leader mondial, peine à maintenir son approvisionnement.
« En Floride, les choses allaient vraiment bien », note Mme Vashisth. « Maintenant, avec la maladie et le climat, on touche le fond. »
Dans les orangeraies restantes, on s'accroche, mais les arbres infectés sont fragilisés. Les ouragans plus violents à cause du réchauffement climatique peuvent détruire les orangers affaiblis par des maladies chroniques. L'ouragan Milton en 2024 a détruit environ 20 % de la récolte d'oranges de Floride, aussi frappée par sécheresses et inondations.
« On a eu de gros ouragans et des vagues de froid ces dernières années », constate Marisa Zansler, directrice de la recherche économique au Citrus Department. « Les producteurs ont été très touchés par ces phénomènes météorologiques extrêmes. »
PHOTO ANDRE PENNER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
La « maladie du dragon jaune », propagée par un insecte envahissant appelé psylle asiatique, a été observée pour la première fois en Floride en 2005.
Selon Mme Zansler, le changement réglementaire à la FDA aidera les producteurs, car la teneur en solides dissous des oranges de Floride est déjà en baisse en raison de l'amertume causée par le verdissement des agrumes. En 2021-2022, ce niveau oscillait autour de 10 %.
Mais les consommateurs se détournent du jus d'orange. Cette boisson a connu un essor fulgurant après la Seconde Guerre mondiale : les orangeraies de Floride produisaient trop et les producteurs cherchaient à vendre leur récolte à la nouvelle génération.
L'essor du concentré
C'était le début de l'empaquetage généralisé des aliments, en boîtes de conserve et des cartons en plastique ; les aliments très transformés étaient vus comme un symbole de modernité. Les producteurs ont alors commencé à presser leurs oranges et à en extraire le concentré, qu'ils expédiaient ensuite dans tout le pays en promettant qu'un verre de ce nouveau jus contenait les nutriments de huit à douze oranges. Aujourd'hui, plus de 90 % des oranges de Floride sont transformées en jus ou d'autres produits.
PHOTO ANNE GAUTHIER, ARCHIVES LA PRESSE
Un verre de 24 cl de jus d'orange contient 24 g de sucre. La consommation de jus d'orange a chuté de près de 50 % aux États-Unis en 20 ans.
Le marketing ciblait aussi les enfants : le jus d'orange était présenté comme un élément essentiel du nouveau déjeuner américain : céréales avec du lait et jus d'orange. « J'ai grandi là-dedans », explique Lauren Fiechtner, pédiatre à l'hôpital pédiatrique Mass General Brigham de Boston, qui se souvient de ce rituel du matin.
Or, aujourd'hui, pédiatres et médecins estiment que le jus d'orange n'est guère mieux que les boissons gazeuses : « C'est plus un dessert qu'un aliment qu'on consomme tous les jours », dit la Dre Fiechtner, selon qui boire le jus sans le reste du fruit soustrait fibres et protéines et accélère l'ingestion de sucre. Par exemple, un verre de 24 cl de jus d'orange Florida's Natural ou Minute Maid Original contient 24 g de sucre.
La Dre Fiechtner fait état d'une étude dans laquelle des enfants obèses qui limitaient leur consommation de jus et d'autres boissons sucrées amélioraient de façon appréciable leurs chances de perdre du poids.
Par contre, d'autres soulignent que le jus d'orange contient des vitamines essentielles. « Nous constatons que pour ceux qui reconnaissent la valeur des avantages nutritionnels, ça l'emporte sur les désavantages », dit Mme Zansler.
Néanmoins, le message — et la hausse des coûts — se répand dans le public. La consommation de jus d'orange a chuté de près de 50 % aux États-Unis en 20 ans. Les Américains sont passés de 22 litres par an par personne à moins de 11. En outre, le prix du jus d'orange concentré (450 ml) est passé de 2,70 $ en 2015 à 4,50 $. Dans le même temps, de plus en plus d'Américains sautent le petit-déjeuner.
PHOTO LUKE SHARRETT, ARCHIVES BLOOMBERG
Des oranges fraîchement récoltées acheminées vers le pressage à l'usine d'extraction Florida's Natural Growers à Lake Wales, en Floride.
Au fond, la trajectoire récente du jus d'orange ressemble à celle de nombreux booms américains des années 1950 : un produit de base très populaire affecté par la mondialisation. Les découvertes scientifiques modifient les perceptions en matière de santé, alors même que les maladies arboricoles et la complexité des chaînes d'approvisionnement font grimper les prix.
Pour l'instant, la Floride replante des orangers. Elle investit plus 100 millions dans ce projet. Selon Mme Vashisth, le secteur des agrumes de l'État survivra, mais sous une forme différente. « Nous survivrons, mais à plus petite échelle », dit-elle.
« Ce n'est pas aussi facile qu'avant. »
Cet article a été publié dans le Washington Post.
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